Dépénalisation de l’avortement : marre d’être patientes et flouées !

Communiqués de presse

2018_Dépénalisation de l'avortement : marre d'être patientes et flouées !

Thématique(s) :

Carte blanche signée par les membres du Selfove Gang !

La Commission Justice de la Chambre a approuvé mercredi la proposition de loi de la majorité sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Si cette loi est adoptée par la Chambre, rien ne changera, ou si peu, pour les femmes. Une occasion manquée de renforcer le droit à l’avortement en Belgique mais aussi un scénario écoeurant qu’en tant que citoyen·ne·s, nous dénonçons.

On l’oublie souvent, mais « L’avortement hors du code pénal », scandé depuis plus de quarante ans, est une revendication féministe historique de divers mouvements sociaux, en Belgique et ailleurs. Cette demande légitime n’avait déjà pas été rencontrée pleinement par la loi de 1990, adoptée au prix d’âpres négociations politiques, même si la dépénalisation partielle qu’elle apportait constituait, à l’époque, une avancée concrète appréciable pour la pratique de terrain.

Toujours sous la pression de la société civile, la sortie de l’avortement du code pénal et l’amélioration des conditions de sa pratique pour les femmes semblaient cette fois, enfin, très proches de devenir réalité. Plusieurs propositions de loi ont été déposées en ce sens et une majorité parlementaire progressiste aurait pu se dessiner. Mais aujourd’hui, ce vote en Commission Justice nous fait craindre une nouvelle désillusion amère, même si la proposition de loi de la majorité extrait bien l’IVG du Code pénal et l’inscrit dans une loi particulière. Car dans les faits, rien ne changera ou pas grand-chose ! Hormis, à souligner, l’abandon de la condition de détresse, la reconnaissance du délit d’entrave et la fin d’une disposition interdisant la « publicité » pour l’avortement qui date de 1867.

En effet, le délai de réflexion obligatoire de six jours pour la femme est maintenu, sauf urgence médicale, laissée à l’appréciation d’un·e professionnel·le de la santé. Ce qui semble suggérer que, sans ce délai imposé, les femmes ne réfléchiraient pas à ce qu’implique une IVG et qu’il soit possible que leur décision résulte d’un acte purement impulsif.

Est maintenu également le délai de douze semaines de grossesse pour recourir à l’intervention. Quel choix le législateur laisse-t-il aux femmes « hors délai » ? Selon leurs moyens financiers, les plus chanceuses, ou les moins défavorisées, continueront d’avorter à l’étranger, comme c’est déjà le cas pour près d’un millier de femmes par an. Les autres accoucheront d’un enfant non désiré. Alors que, par ailleurs, un nouveau projet de loi relatif à la reconnaissance d’un statut pour le foetus va être présenté devant cette même Commission Justice dans les jours qui viennent. Le gouvernement nous préparerait-il un retour aux cintres et aiguilles à tricoter ?

Enfin, la possibilité de sanctions pénales (peines de prison et amendes) est maintenue, tant à l’encontre des femmes que des médecins, qui ne respecteraient pas la nouvelle loi. Outre la portée symbolique de cette décision, avait-on vraiment besoin d’un tel signal adressé aux tribunaux ?

Qui plus est, cette proposition de loi a été adoptée au mépris de l’avis des nombreux·ses associations, pénalistes et expert·e·s de terrain, longuement entendu·e·s en Commission Justice de la Chambre, qui se sont prononcé·e·s explicitement en faveur d’une réduction du délai de réflexion (à 24 ou 48h), d’un prolongement de celui de l’IVG (jusqu’à 18 semaines de grossesse) et d’un abandon pur et simple des sanctions.

Nous sommes aujourd’hui écoeuré·e·s. Après des décennies de lutte, nous en avons marre d’entendre dire par certain·e·s qu’il faut « être patient·e·s », que la société n’est, soi-disant, pas encore prête. Voire, mieux encore, se gargariser d’une prétendue « avancée historique » qui a la mémoire bien courte. Et nous devrions dire « merci » pour les miettes que l’on veut bien nous concéder ? Tout cela, au nom d’enjeux politiques avec un très petit « p » (comme dans « peanuts »), mais au détriment total de la vie et de la santé des femmes, encore et toujours. On se moque de nous et des dizaines de milliers de femmes qui demandent chaque année une IVG en Belgique !

Nous ne sommes pas dupes. Ces derniers mois, nous avons assisté à une vaste opération de marketing politique et de « feminism washing » avec, en apothéose, le vote en Commission Justice, le jour même où l’Irlande, pays pourtant réputé résolument conservateur, a promulgué la loi légalisant l’IVG jusqu’à douze semaines sans AUCUNE condition. Quelle honte…

La proposition de loi de la majorité va maintenant être présentée au vote en séance plénière de la Chambre. Elle ne peut pas passer en l’état et doit aller bien plus loin ! Nous demandons aux parlementaires de regarder les citoyen·ne·s en face, de prendre leurs responsabilités dans l’intérêt général de toutes et tous et d’avoir enfin le courage de se positionner clairement en faveur de la santé des femmes et de leur droit fondamental à disposer librement de leur corps. C’est alors que nous pourrons célébrer un véritable tournant historique et exemplaire.

22/09/2018, Le Vif, Dépénalisation de l’avortement : marre d’être patientes et flouées !

Nos thématiques

Voir toutes les thématiques