Intro
La rhétorique fasciste et les arguments banalisant les discours haineux des extrêmes droites sont omniprésents sur les réseaux sociaux. Cette omniprésence dans le paysage informationnel (média et en ligne) est étudiée par de nombreuxses chercheureuses, notamment sociologues ou spécialistes de l’information. Cette omniprésence est un fait, pas une opinion, et influence directement le paysage politique contemporain.
Cette présence a une implication directe claire sur l’opinion publique, et sur la montée des extrêmes droites dans les sphères de pouvoir politique, en témoignent les résultats des élections de juin et le nombre d’élu·es des extrêmes droites, au niveau européen par exemple.
Il nous semble donc essentiel de comprendre cette omniprésence des extrêmes droites sur “la toile” pour connaître et contrer ce qu’on appelle la “fachosphère”.
Qu’est-ce que la fachosphère ?
La fachosphère renvoie globalement à la présence des extrêmes droites sur internet. C’est l’ensemble de sites, de blogs, de forum, de comptes – tiktok, instagram, youtube, etc – qui constituent une “galaxie” de contenu d’extrême droite. Les créateur·ices de contenu, aux profils diversifiés, utilisent les mêmes codes, des techniques et narratifs similaires, mobilisant une rhétorique commune.
Le terme “fachosphère”, utilisé depuis les années 2010, par les observateurs politiques, journalistes et chercheur·euses en sciences sociales et politiques, souligne l’ampleur et l’organisation de ces réseaux numériques. La fachosphère est composée de nombreux acteurs interconnectés qui se soutiennent mutuellement (même si certaines de leurs positions divergent), partageant des contenus et collaborant sur des campagnes de désinformation ou de harcèlement en ligne.
Cela crée un réseau dense qui amplifie les messages des extrêmes droites et facilite leur diffusion auprès de l’opinion publique.
Pouvoir et sponsorisation en ligne
Comprendre le pouvoir des contenus sponsorisés
Investir dans la sponsorisation en ligne permet à écolo j de passer “dans les coulisses” des réseaux sociaux et de mesurer l’ampleur des possibilités d’action pour les créateur·ices de contenu. Publier du contenu “sponsorisé” (c’est à dire payer pour mettre en avant du contenu) sur Facebook, Insta, Google Ads… permet de visibiliser son contenu, qui habituellement passerait inaperçu dans l’océan des contenus numériques. Payer pour mettre en avant son contenu permet d’accéder à une multitude d’outils et d’informations qui ne nous étaient pas accessibles jusqu’alors. On peut par exemple avoir accès à des outils de ciblage qui définissent avec une précision assez impressionnante la “cible”, l’audience, que l’on souhaite atteindre (âge, genre, localisation, centre d’intérêts, comportement en ligne). Toutes ces informations permettent d’optimiser l’efficacité des messages diffusés et de leur contenu.
On a également accès à des données analytiques détaillées concernant les comportements des utilisateur·ices au contact de notre contenu. On peut aussi tester différentes stratégies d’expansion pour atteindre de nouvelles audiences, intensifier l’engagement de notre communauté, ou étendre la portée de ses messages à de plus vastes échelles. Le succès de certain·es sur les réseaux n’est donc pas si anodin et peut représenter un véritable investissement stratégique.
Une galaxie d’influenceur·euses d’extrêmes droites
La fachosphère fonctionne en bulle, regroupant du contenu partagé par toute une série d’acteur·ices d’internet, dont c’est la profession : “journalistes” indépendant·es, blogueur·euses, youtubeur·euses, podcasters, pages de memes, influenceur·euses … De nombreux·ses créateur·ices de contenu forment donc cette “galaxie des extrêmes droites” (voir le travail du média indépendant Streetpress pour approfondir, ou encore cette cartographie qui montrent les liens entre ces youtubeur·euses et les groupuscules des extrêmes droites français). En Belgique, les groupuscules d’extrêmes droites sont en augmentation, insufflant leurs idées réactionnaires dans le débat public et jouant un rôle de lobbying sur les grands partis.
Populisme et les jeunes comme cibles privilégiés
Donc, on l’a vu, le contenu des extrêmes droites est très adapté au fonctionnement des réseaux sociaux et les extrêmes droites en ligne sont organisés en une bulle très abondante sur les réseaux.
Par conséquent, pour une large partie de la population “non politisée” ou juste non informée sur tel ou tel sujet d’actualité, les contenus d’extrêmes droites pourront être facilement accessibles… et en emportant potentiellement rapidement ces utilisateur·ices dans des bulles fonctionnant en vase clos.
Cela est particulièrement vrai pour les jeunes, majoritaires sur les réseaux sociaux et pour qui ces plateformes constituent la principale source d’actualité. Potentiellement plus vulnérables et moins critiques, les jeunes voire très jeunes utilisateur·ices des réseaux sociaux peuvent être sujets à une radicalisation plus rapide vers la fachosphère, qui les cible en premier lieu.
Le compte tiktok de Bardella, qui cumule plus du million d’abonné·es adopte des codes et langage bien précis, le rendant sympathique aux jeunes générations. De même, l’extrême droite wallonne ‘Chez nous’ sur-investit les réseaux des jeunes, avec un compte Tikok très dense et des vidéos faîtes par des jeunes pour les jeunes. “La communication populiste de ces partis invoque des discours qui peuvent être perméables auprès d’un électorat plus jeune, moins informé des particularités du système politique.” (Benjamin Biard)
Qualifier la fachosphère pour mieux la reconnaître
Il est fondamental de s’outiller pour pouvoir reconnaître ces contenus d’extrêmes droites et les désamorcer. Il y a des codes sur les réseaux, des narratifs communs, qui permettent d’identifier cette rhétorique particulière, pour pouvoir mettre en application sa distance critique.
Narratifs et thématiques
La fachosphère recoupe du contenu aux thématiques multiples qui s’entrecroisent : masculinisme, souverainisme, promotion de la supériorité culturelle ou raciale, anti-immigration, défense de valeurs traditionnelles contre le « marxisme culturel » ou la « décadence occidentale », et la critique virulente des institutions démocratiques (“anti-establishment”) et des médias traditionnels (les “merdias”). Globalement, les idées développées dans la fachosphère renvoient aux thèses portées par les extrêmes droites. Ces dernières se définissent souvent en sciences politiques par trois principes (voir François Debras et Sibyle Gioe; ou Benjamin Biard):
- inégalitarisme,
- nationalisme
- sécuritarisme.
Les extrêmes droites, quelles qu’elles soient, sont profondément inégalitaires, basées sur une vision du monde selon laquelle des groupes différents sont considérés comme inégaux par nature (selon le genre, l’ethnie, la civilisation…). C’est ensuite une idéologie qui repose sur le nationalisme : l’idée d’une nation à défendre (patriotisme) et d’une homogénéité ethnique au sein d’un territoire donné. Enfin certain·es chercheur·euses parlent du sécuritanisme: les extrêmes droites prônent globalement des dispositifs sécuritaires autoritaires, de contrôle et de coercition.
La fachosphère est aussi identifiable à son lexique et à ces références communes : on verra souvent passer les termes de « grande réinitialisation » ou « grand remplacement », “remigration”, “ré-information” voire “regénération”… Iels utilisent des emojis bien particuliers (outre les drapeaux et fleurs de lys, il y a également la carte du monde, ou le OK).
Fonctionnement : modes d’actions privilégiés de la fachosphère
La fachosphère a aussi des modes de fonctionnement qui lui sont propres : utilisation de trolls (une personne qui cherche intentionnellement à susciter des réponses émotives, controversées ou haineuses dans les espaces en ligne), vagues de cyberharcèlement, mais aussi désinformation. Les utilisateur·ices des RS d’extrêmes droites s’appuient sur des communautés en ligne à travers des forums, ou des groupes Facebook pour diffuser leurs messages et organiser des campagnes de harcèlement ou de « trolling » contre leurs adversaires. Cette organisation donne une impression de nombre sans que ce soit forcément le cas et amplifie artificiellement les messages haineux. Ces vagues de cyberharcèlement sont massives et leur aspect organisé les rend d’autant plus violentes. Plusieurs membres d’écolo j ont déjà subi certains de ces “raids”.
Conclusion : s’éduquer-éduquer-s’outiller et investir la toile en contrepartie
Les contenus de droites et d’extrêmes droites s’insèrent donc insidieusement dans nos paysages informationnels et nos imaginaires.
À mesure que leurs contenus deviennent viraux, les influenceur·euses d’extrêmes droites peuvent parvenir à normaliser des idées qui étaient auparavant considérées comme extrêmes ou taboues, les rendant plus acceptables ou « mainstream » pour un public plus large. Les recherches en sciences politiques et sociales permettent de théoriser cette fachosphère, mettant en lumière son influence dans la radicalisation politique contemporaine.
Pour écolo j, la fachosphère représente un défi majeur pour la démocratie et le débat public : il faut en parler, l’analyser, pour savoir la contrer. On veut s’éduquer, s’informer, s’outiller face aux extrêmes droites pour comprendre leur rhétorique et contre leur logique argumentative.
Pour mieux la contrer, écolo j a fait le choix, comme de nombreuses organisations progressistes (autres organisations de jeunesses politiques, créateur·ices de contenu qui se veulent plus apartisan·es) de s’engager également numériquement en investissant la toile et de sponsoriser son contenu pour atteindre une audience plus large. “Tous les jeunes ne sont pas attirés par l’extrême droite. Il en reste à convaincre sur les réseaux sociaux.” Benjamin Biard, chercheur au CRISP.
Sources
Références mentionnées :
- Pol Lecointe (2024), “Vote des jeunes : comment l’extrême droite s’est emparée des réseaux sociaux” https://www.revuepolitique.be/vote-des-jeunes-comment-lextreme-droite-sest-emparee-des-reseaux-sociaux/
- sur les algorithmes et les bulles de filtres : Algopinion, Innoviris, CLAES, A., & PHILIPPETTE, T. (2021). Algorithmes et bulles de filtres : État des lieux. https://www.algopinion.brussels/wp-content/uploads/2021/11/Algopinion-2e-Article_compressed.pdf
- Sophie Leroy, 2024, “Ce que cache la « défaite » du Vlaams Belang”, L’Echo, https://www.lecho.be/dossiers/elections-en-belgique/ce-que-cache-la-defaite-du-vlaams-belang/10551375.html
- Vincent, Georis, 2024, “Élections 2024: l’Europe entame un virage vers la droite dure”, LEcho, https://www.lecho.be/dossiers/elections-en-belgique/elections-2024-l-europe-entame-un-virage-vers-la-droite-dure/10550445.html
- Dominique Watrin, 2021, “L’extrémisme de droite en Belgique : une menace permanete en constante évolution” https://discri.be/article-thematique/lextremisme-de-droite-en-belgique-une-menace-permanente-en-constante-evolution/
Pour aller plus loin :
- DOCUMENTAIRE. Arte, “White power. Au coeur de l’extrême droite européenne”, 2024, Christophe Cotteret. https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=2sQ_cJILMGc
- EMISSION RADIO. Eu!radio, 2023, “Cartographie de l’extrême droite belge avec François Brabant” (émission du 15/10/2023)
- PODCAST. Révolutions Numériques – « Quand la fachosphère tisse sa toile : le cyberharcèlement comme outil politique »
https://podcast.ausha.co/revolutions-numeriques/05-1
- VIDEO. Blast, 2024, “comment le masculinisme menace les femmes et toute la société”. Sur les incels, cette sous-branche de la fachosphère :
https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=sIZXTslQuR0
- EMISSION RADIO. France inter, 2022, “l’interview de secrets d’infos”, avec Delphine Marion-Boulle et Valentin Pacaud