Le premier pas vers une démocratie plus participative ?
Il est aujourd’hui de notoriété publique que notre démocratie s’essouffle, d’une part les citoyen·ne·s ne reçoivent que trop peu d’espace pour pouvoir s’exprimer et d’autre part ils.elles font de moins en moins confiance aux acteurs politiques sensés porter leurs voix, dans le cadre de la démocratie représentative dans lequel nous évoluons. Ce modèle étant en crise, il nous faut réinventer la façon dont nous faisons société, en donnant d’avantage d’espace aux citoyen·ne·s dans des prises de décisions qui les affectent en premier.
Les commissions délibératives semblent apporter un début de solution au problème. Le 6 avril 2021 nous avons rencontré Magali Plovie, Présidente du Parlement francophone bruxellois, députée bruxelloise Ecolo et initiatrice des commissions délibératives, l’occasion pour écolo j de lui poser plusieurs questions afin de mieux comprendre l’outil.
Nous avons posé quelques questions à Magali Plovie
Les commissions délibératives se dérouleront les week-end et dureront parfois plusieurs semaines, qu’en est-il des personnes – parfois précarisées – qui sont tirées au sort, qui veulent participer au processus mais qui travaillent les week-end ?
Magali Plovie – Nous essayons de faire en sorte que ce soit accessible pour tout le monde et le week-end et sans doute le moment le plus facile pour le plus grand nombre des personnes, après c’est clair qu’il y a des personnes qui travaillent samedi et dimanche, pour l’instant nous n’avons pas de solutions, mais moi ce que j’aimerais, et je suis en discussions avec nos parlementaires au niveau fédéral, c’est de prévoir des congés de citoyenneté. On pourrait donc imaginer que dès qu’on a un processus participatif on puisse leur accorder un congé de citoyenneté pour leur permettre de participer, je pense que ça va permettre un déclic au sein de notre société, parce que par exemple maintenant avec les commissions délibératives on a prévu d’en faire trois par an, et étant donné que ça se passe le week-end, il ne nous reste presque plus de moments pour en faire d’autres. Si on veut que ça devienne un mode de fonctionnement habituel il faut qu’on puisse avoir d’autres moments et donc ces congés de citoyenneté sont la clés, et cela relève du fédéral donc j’espère vraiment qu’on pourra trouver une solution par ces congés de citoyenneté.
Est-ce qu’il a été prévu une démarche obligatoire, comme pour un jury, pour que les employeurs ne puissent pas faire pression sur les travailleur·euse·s ?
Non, pour l’instant on ne peut pas faire en sorte que ce soit obligatoire, je ne sais pas si au début c’est vraiment une bonne idée, parce que les choses se mettent petit à petit en place, on teste et on voit comment les choses se mettent en place. Aujourd’hui je ne peux pas vous dire si je pense qu’il faut rendre cela obligatoire ou pas, par contre je reviens sur ma réponses précédentes, il faut un congé de citoyenneté pour tous.tes les citoyen.nes qui le souhaitent, par exemple pour le cas des conseiller·ère·s communaux je sais que certain·e·s ont peur de demander des congés alors qu’ils.elles en ont droit. Il faut donc faire en sorte qu’il n’y ait pas de barrière, par aucun employeur, à la participation, que ce soit pour les conseiller·ère·s communaux ou les citoyen·ne·s qui veulent prendre part aux processus participatifs. Je pense que plus il y aura de processus de ce type, plus ça deviendra quelque chose de normal, mais pour l’instant nous ne sommes qu’au tout début du processus, donc je ne sais pas s’il faut le rendre obligatoire comme le jury d’assise mais en tout cas il faut trouver des solutions pour permettre à toutes les personnes de pouvoir y participer.
Du point de vue inclusivité, est-ce que la langue des signes est comprise dans les traductions possibles des commissions délibératives?
Oui, déjà lors de l’envoi du courrier (envoyé lors du premier tirage au sort), les personnes qui reçoivent le courrier pourront obtenir toutes les informations sur le site, les cinq langues les plus utilisées seront accessibles, ainsi qu’une version audio pour les personnes qui ne savent pas lire. Donc peu importe le type d’handicap de la personne qui est sélectionnée nous nous adapteront pour qu’elle puisse réellement participer, s’il faut un interprète pour une personne malentendante nous en prendront un.
A propos des mères au foyer, pour accompagner leur démarche, être soutenant et valorisant dans la communication etc, quelque chose est-il mis en place ?
Il y a un accompagnement durant tout le processus, le but est de les soutenir, les mettre en confiance, leur montrer qu’elles ont une place dans le processus, et chaque personne à sa place dans le processus, donc oui, ce sera adapté en fonction de ce dont les gens auront besoin. Depuis le mois de septembre je vais régulièrement à la rencontre d’associations qui travaillent sur le terrain avec des personnes plus isolées, des personnes qui vivent dans la pauvreté, pour essayer d’attirer l’attention sur ce processus, leur dire qu’elles ont leur place dans le processus et surtout de nous donner des retours pour que nous puissions nous améliorer.
C’est la même chose pour un certain nombre de personnes qu’on aura pas d’office, comme les sans-papiers et les sans-abris, parce qu’il faut être inscrit dans la liste des résidents et ces personnes n’y sont pas, nous sommes entrain d’y travailler pour leur permettre de participer également, avec les sans-abris il y a par exemple les adresses des référence, nous y travaillons avec les CPAS, pour les sans-papiers nous réfléchissons toujours à comment nous pouvons les toucher et les associer au processus. Pour les chômeurs ou les personnes qui sont au CPAS, nous travaillons pour qu’elles ne soient pas sanctionnées car elles passeraient moins de temps à chercher un emploi.
Les commissions délibératives concernent-elles aussi les citoyen·ne·s européens et extra-européns ?
Oui, il n’y a pas de condition de nationalité, il suffit d’être enregistré dans la liste des résidents. Certains partis voulaient que ce soit comme lors des élections communales avec des conditions de nationalité et de résidence de 5 ans. Mais comme je le disais dans ma réponse précédente c’est important pour moi, il y a de nombreux·se·s sans-papiers et je pense que ce serait vraiment intéressant de les associer dans les commissions délibératives. L’idée est d’élargir au maximum.
Qu’est-ce qui est mis en place pour que les expert·e·s n’influencent pas trop le processus et que les commissions soient pluralistes ?
La première chose qu’on a essayé d’éviter c’est que le choix des experts ne soit le fruit de compromis politiques et de décisions politiciennes, donc on a le comité d’accompagnement qui nous suit, ce dernier est composé de quatre experts académiques sur la démocratie participative, à cela s’ajoutent deux personnes des services des deux parlements (cfr le Parlement bruxellois et le Parlement francophone bruxellois – COCOF), ces six personnes choisissent à chaque commission délibérative deux experts des thématiques concernées pour s’adjoindre au comité d’accompagnement. On a donc pendant deux ans 6 personnes qui restent les mêmes et deux personnes qui viennent s’ajouter à chaque commission selon la thématique traitée. Les député.e.s ne décident pas de ces deux personnes là, les quatre experts académiques sont choisi.e.s à partir d’un appel, et donc des personnes de plusieurs universités belges ont répondu à cet appel et ont été sélectionné.e.s en respectant un équilibre (homme-femme, nord-sud, etc), mais par contre les deux sur la thématique sont choisi.e.s par le comité d’accompagnement, les députés n’ont aucune décision à prendre à ce niveau là. Ensuite, le comité d’accompagnement et les administrations préparent les dossiers informatifs.
En ce qui concerne les auditions c’est la commission délibérative qui décide au final qui elle veut entendre, cela peut être tout type d’expertise, pas forcément académique, ça peut être des syndicats, des associations, des mutuelles, mais aussi des experts du vécu (usagers santé, personnes vivant dans la pauvreté), qui peuvent venir expliquer leurs réalités. Pour moi l’expertise n’est pas seulement académique, elle peut être de tout type. Je pense que ces éléments peuvent éviter certains biais, mais nous allons continuer de chercher cet équilibre, éviter une prise de parole de certains plus que d’autres, si ce n’est pas le cas nous verrons comment rectifier le tir.
Quelles sont les garanties qui ont été prévues pour la sécurité des personnes sans-papiers ?
Il n’y en a pas encore, mais c’est le travail que je compte faire dans la prochaine année, voir comment aller encore plus loin, avec les sans-abris il y a des possibilités avec les adresses de références et les CPAS, mais avec les sans-papiers c’est un peu plus complexe, sur quelle base on va les tirer au sort (vu qu’ils.elles ne sont pas sur les listes de résidents), est-ce qu’on laisse une place pour les sans-papiers et on travaille avec des collectifs, donc il y a toutes ces questions, comment on les intègre pour les tirages au sort, pour l’instant je n’ai pas la réponse mais on y travaille. Mais pour moi c’est très important, toutes les personnes qui vivent à Bruxelles doivent pouvoir participer.
Est-ce que le tirage au sort garantit vraiment une bonne représentation de la société ?
Je ne sui pas allé dans les détails plus tôt mais il y a deux étapes, dans la première étape on prend la liste des résident.e.s et on fait un tirage aléatoire, cette première étape ne garantit pas la représentativité des bruxellois.e.s. Dans la deuxième étape, pour les 45 qu’on veut avoir au final, on va dire qu’on veut par exemple tel pourcentage de femmes, d’hommes, d’employé.e.s, de personnes au chômage, de diplômé.e.s, etc. et donc on a besoin que ces 45 soient représentatifs. C’est donc le rôle du comité d’accompagnement de voir le pourcentage dans la population bruxelloise et de le retrouver dans les 45, s’il manque un critère on recommence, on refait un tirage pour arriver au plus près. Mais je ne serais pas honnête intellectuellement si je vous disais que 45 personnes peuvent représenter la diversité bruxelloise, donc on essaie tous ces critères rencontrés, il faudrait plus de citoyen·ne·s pour que cela soit vraiment représentatif, pour l’instant ce n’est pas faisable, mais nous restons vigilents pour qu’il y ait une représentativité. La représentativité géographique aussi, que j’ai oublié de mentionner est très importante, on ne peut pas avoir des personnes qui viennent d’une même zone de Bruxelles.
Dans le premier tirage que nous sommes entrain de faire on a vraiment une bonne représentation de la population, après il faudra encore faire le second tirage au sort.
Est-ce que les commissions délibératives sont un réel outil de participation ou juste de la poudre pour faire croire aux citoyen·ne·s qu’ils.elles ont une voix ?
Ce qui est important ici c’est le suivi, c’est ce qui a par exemple manqué dans la convention sur le climat organisé par Macron en France. Chez nous c’est une obligation, dans les six mois, en face de chaque recommandation il doit y avoir un suivi, et s’il n’y a pas de suivi il faut une motivation. Concrètement les député.e.s et le gouvernement pourraient dire qu’ils.elles ne veulent pas faire le suivi d’une recommandation, mais après il faut argumenter et surtout assumer, c’est ça aussi faire de la politique. Au bout des six mois il y aura une rencontre entre les citoyen·ne·s tiré.e.s au sort, les député.e.s et le gouvernement, ces derniers devront rendre compte sur comment ils ont fait le suivi, tout cela sera visible sur le site internet, la population pourra voir le travail qui a été fait dans les commissions délibératives, et elle en tirera les conséquences ou les leçons, si elle est contente ou pas.
Pour nous c’est très important de prendre les choses très au sérieux, on veut que le processus soit très rigoureux en terme de mesures pour que tout le monde puisse y participer, ce n’est pas toujours le cas. Nous avons fait un grand travail, et nous avons pu bénéficier de l’expertise de beaucoup d’experts, belges comme internationaux, et c’est peut être ces moyens là qui ont manqué à certaines communes qui ont tenté de mettre en place de tels dispositifs. Nous faisons donc tout pour que ce soit rigoureux pour éviter de décevoir les citoyens, c’est pourquoi nous faisons aussi des évaluations pour améliorer le processus. Mais il faut effectivement respecter le travail des citoyen·ne·s tiré.e.s au sort.
Quelle est la pertinence des commissions délibératives pour les plus jeunes, entre 16 et 25 ans ? Comment les impliquer, quelle stratégies sont mises en place pour que les commissions délibératives aient de la visibilité chez les jeunes ? Comment les motiver et les convaincre à y prendre part (étant donné que les CD se passeront les week-end, considérés comme des moments de repos pour les jeunes) ? Comment être sûr qu’il y a une diversité au niveau de la jeunesse représentée ? Comment être sûr que ce ne sont pas les mêmes parcours socioéconomiques qui se retrouvent aux commission délibératives ?
Premièrement, sur les conseils du délégué général aux droits de l’enfant, on a prévu un accompagnement spécifique pour les 16 – 20 ans, il y a également un processus spécifique pour les parents, leur expliquer, les rassurer et leur donner toutes les informations sur le déroulement, il faut évidement une autorisation pour les mineurs. Deuxièmement, pour les impliquer il faut prévoir des choses spécifiques, donc on a envoyé des informations à différentes écoles pour qu’elles sachent que ça pouvait se passer, nous on veut travailler avec les écoles pour que par exemple lorsqu’un.e jeune est tiré.e au sort que la classe puisse être derrière le.la jeune, que son école le.la soutienne, l’aide, et aussi que lorsqu’ils.elles reviennent vers l’école ils.elles puissent expliquer comment ça s’est passé, en faire des ambassadeurs à un moment donné. On est donc entrain de voir comment collaborer avec les écoles, écoles supérieurs et universités à cet effet.
Pour la communication on a déposé des flyers dans les associations, on travaille aussi sur les réseaux sociaux, voir comment sponsoriser et “cibler” certains publics. Après, moi j’ai toujours mon bâton de pèlerin pour aller rencontrer les associations qui le souhaitent, les motiver à en parler, en faire des ambassadeurs, tout le monde peut devenir ambassadeur, vous aussi par exemple, on a plein d’outils que vous pouvez utiliser pour expliquer ces commissions délibératives. Oui il faut motiver et convaincre, dire que tout le monde a sa place dans les commissions délibératives.
Le nombre de jeunes dépendra de la proportion de jeunes à Bruxelles, et comme dit plus tôt pour les tirages au sort, nous voulons tout type de jeunes et pas ceux.celles qui sont les plus intéressé.e.s, mais comme c’est basé sur ceux.celles qui sont motivé.e.s (les personnes qui sont tiré.e.s au sort et qui acceptent de participer), il y a un risque de se retrouver avec les personnes les plus intéressées. Il y a donc un travail à faire avec les mouvements de jeunes, les écoles, les scouts etc, les commissions délibératives se feront connaître au fur et à mesure. Après s’il y a un.e Youtubeur.se qui a envie de s’emparer de la question, qui a envie d’en parler avec des jeunes – les jeunes qui ont participé aux commissions délibératives pourraient par exemple devenir des ambassadeurs.rices auprès d’autres jeunes s’ils.elles le souhaitent – ce serait extraordinaire.
Est-ce que les personnes qui proposent le sujet de commission y participent d’office ?
Non, les personnes qui soumettent les suggestions citoyennes ne sont pas d’office dans la commission, ils.elles pourraient être tiré.e.s au sort par contre. Là nous réfléchissons à la manière dont on va faire le lien entre celles.ceux qui sont venu faire une proposition de thématique et celles.ceux qui seront tiré.e.s au sort. Moi je trouve que ce qui serait pas mal c’est que les personnes, ou les représentant.e.s, viennent à la commission délibérative pour expliquer pourquoi ils.elles ont proposé cette thématique. C’est important de créer ce lien entre ceux.celles qui portent une suggestion et ceux.celles qui y participent, sinon c’est bizarre, on fait une suggestion puis c’est fini, donc nous y travaillons. Mais je pense qu’il faut les associer au début, par une sorte d’audition.
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