Venue du Roi Philippe au Congo : une avancée ou la continuité du système colonial sous d’autres formes ?
« Je désire réaffirmer mes plus profonds regrets pour les blessures du passé ».
Ce sont là les mots du roi Philippe, prononcés le mercredi 8 juin 2022, lors de son discours au Palais de la Nation à Kinshasa aux côtés de la reine Mathilde et du président congolais Félix Tshisekedi.
Précédemment, une première étape symbolique fut franchie lors de la rédaction de la lettre royale adressée au président de la RD Congo, Félix Tshisekedi, le 30 juin 2020. Cette fois-ci, la symbolique de la présence du Roi et de la Reine sur le sol congolais, du lieu, le Palais de la Nation, ainsi que les mots choisis dans son discours démontrent une avancée importante en termes de reconnaissance du régime colonial belge basé sur l’exploitation et la domination sur les congolais. En effet, il s’agit de la première venue du Roi à Kinshasa, en RDC. Néanmoins, lors de ce discours tant attendu, il y affirme non pas des excuses mais des regrets quant au régime colonial. Il le définit, d’ailleurs, comme « basé sur l’exploitation et la domination » ainsi que sur le « racisme » et les “discriminations”. Malgré la reconnaissance de la nature du système colonial, de l’exploitation, des discriminations et du racisme, perpétrés durant la période impériale belge, force est de constater qu’aucune excuse officielle n’a été présentée au Congo.
Cela pourrait s’expliquer notamment suite au prolongement de la Commission Congo au Parlement fédéral jusqu’en novembre 2022. Pour rappel, les séances abordant la réconciliation entre les deux pays n’ont pas encore été abordées. De plus, un projet de loi au sujet des futures restitutions des œuvres au Congo est en cours. Les travaux parlementaires étant en cours, des excuses officielles pourraient, dès lors, se présenter à leur issue au fédéral. Cela représenterait pour nous une avancée majeure en termes de reconnaissance et de décolonisation.
À propos de la restitution de biens, l’inauguration du « prêt » du masque kakuungu de l’ethnie des Suku a également eu lieu au Musée National de Kinshasa. En effet, le masque s’avère être prêté par l’Africa Museum pour une durée indéterminée ou illimitée au Musée National de Kinshasa. Ce geste de la Belgique doit, pour nous, précéder un mouvement plus important de restitution des objets pillés durant la période coloniale. C’est pourquoi, nous suivons de près le projet de loi déposé au fédéral.
Le discours du roi Philippe apparaît comme une seconde étape et s’accompagne de plusieurs moments symboliques importants dans la reconnaissance des violences causées par la période coloniale belge dont l’inauguration du masque kakuungu, la rencontre avec le caporal Kynyuku, dernier survivant ayant combattu durant la Seconde Guerre Mondiale pour la Belgique, nommé Commandeur de l’Ordre de la Couronne, ainsi que, dans quelques semaines, de la remise des reliques du premier Premier Ministre congolais, Patrice Emery Lumumba, assassiné le 17 janvier 1961 avec une forte implication de l’Etat Belge.
La symbolique de la venue du Roi et du discours prononcé est forte et nécessaire mais reste coloniale, premièrement par la mention des remerciements aux belges, “sans oublier toutefois les nombreux Belges qui se sont sincèrement investis », deuxièmement par les allusions faites aux soit-disant aspects positifs de la colonisation “dans les domaines la santé et de l’éducation, des réalisations constantes unissent nos deux pays encore aujourd’hui , et enfin par le “prêt” et non la restitution définitive du masque kakuungu au Musée national de Kinshasa.
Restitution des reliques de Patrice Lumumba : vers d’autres restitutions de restes humains ?
Depuis quelques mois, nous savons que l’Etat belge s’était engagé à restituer les reliques de Patrice Lumumba à sa famille et à son pays. Ces reliques étaient en Belgique depuis 61 ans. Elles ont été amenées par l’un des agents belges chargés de faire disparaître les corps du premier Premier Ministre congolais et ceux de ses deux compagnons, Joseph Okito et Maurice Mpolo. Après avoir dissous les corps dans de l’acide, Gérard Soete a eu l’idée macabre de conserver deux dents de Lumumba, comme il l’affirme lui-même dans cet extrait de documentaire diffusé à la fin des années 90. L’affaire prenant de l’ampleur, notamment grâce au travail du sociologue Ludo De Witte, Gérard Soete fait une autre interview dans laquelle il affirme avoir jeté les dents à la mer du nord pour “en finir avec l’affaire Lumumba”.
En 2016, Gérard Soete est mort entre-temps, mais les dents de Lumumba réapparaissent chez sa fille, qui les montre à un journaliste. Suite à cela, le sociologue Ludo De Witte portera plainte pour recel de restes humains. Le domicile de la fille Soete sera alors perquisitionné et les dents retrouvées, elles seront alors mises sous scellé et gardées au palais de justice de Bruxelles.
En 2020, le Roi présentait ses regrets aux congolais‧ses pour les atrocités commises durant la période coloniale. Cet événement, aboutissement des pressions faites par les associations des années durant, et amplifié par le contexte de la manifestation Black Lives Matter, allait avoir de nombreuses répercussions. Durant la même période, Juliana Lumumba, fille de Patrice Lumumba, adresse au Roi Philippe une lettre demandant « le juste retour des reliques de Patrice Émery Lumumba sur la terre de ses ancêtres ». En septembre de la même année, le parquet fédéral belge annonce la restitution de ces reliques à la famille du héros congolais.
Cette restitution, prévue depuis deux ans, a enfin eu lieu le 20 juin dernier. Pour l’occasion, la famille Lumumba, une délégation du gouvernement congolais et des officiels belges étaient présents.
Lors de cette cérémonie, le premier ministre De Croo a prononcé un discours. Il admet, premièrement, l’obscurité dans laquelle la dépouille de Patrice Lumumba a été gardée toutes ces années par les belges. Ensuite, il admet que la création de la commission parlementaire sur l’assassinat de Patrice Lumumba a été créé trop tardivement, soit 40 ans après le 17 janvier 1961. Enfin et après de nombreuses minutes, il admet la responsabilité morale de l’Etat belge et de certains ministres de l’époque dans cet assassinat, et prononce des excuses devant la famille de Patrice Lumumba.
Malgré la symbolique et le discours nécessaire du Premier Ministre, nous déplorons premièrement que ces excuses ne concernent pas toute la période coloniale, mais uniquement le contexte qui a mené à l’assassinat de Lumumba.
Ensuite, nous déplorons le fait que le Premier Ministre profite de ce discours tant attendu pour tout de même mentionner que “tout n’était pas mauvais”, qu’il y a eu “de bonnes choses” et que de nombreux Belges se sont investis dans les colonies “avec de nobles intentions ». Malgré son intention de vouloir montrer que ça a été fait pour de l’exploitation (entre autres), nous regrettonsle fait que le Premier Ministre rappelle, à ce moment-là et en présence de la famille de Patrice Lumumba, une note “positive” de la colonisation.
Il rappelle notamment que les liens entre les Congolais‧es et les Belges sont toujours forts et que le peuple congolais est un peuple fort et divers. Ce qui pourrait ramener à un certain paternalisme occidental.
Cependant, le Premier Ministre rappelle que le racisme était bien présent lors de la colonisation et qu’il faut continuer à le combattre. Une reconnaissance des faits néanmoins nécessaires et symboliques en cette journée d’hommage à Patrice Lumumba.
Même si les sphères militantes antiracistes et décoloniales attendent beaucoup plus de la part de la Belgique, ces actes, en parallèle des travaux parlementaires de la Commission Congo au fédéral, permettent d’avancer et de légitimer les combats décoloniaux aux yeux de certain‧e‧s les considérant comme « wokistes ».
Après 62 ans “d’Indépendance” du Congo, le temps est, désormais, aux excuses, à la reconnaissance, aux réparations, aux restitutions, et à l’établissement, comme le disait Lumumba, de relations d’égal à égal, basées sur le respect mutuel.
Pour le GT décolonisation, le travail de décolonisation doit maintenant se concrétiser, au-delà des discours. La lutte contre le racisme et les discriminations, alimentée en Belgique par la propagande coloniale, doit s’accélérer et se matérialiser. Nos rapports avec les pays dits du sud doivent également changer, pour aller vers une réelle solidarité internationale, débarrassée du paternalisme et du néocolonialisme.
Le GT souhaite modestement contribuer aux réflexions autour de cette question dans notre pays, avec pour objectif la rédaction d’une position politique. Tu souhaites y contribuer ? Alors rejoins-nous en envoyant un mail à sk@ecoloj.be .