Retour sur | écolo j on fire 2014 : Les grands enjeux de la société numérique

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2014_ Les grands enjeux de la société numérique

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Cette séance plénière d’introduction d’écolo j on fire 2014 sur la société numérique animée par Laura Carlier et Michaël Maira, coprésidents d’écolo j, accueillait  Benoit Hellings, député fédéral et auteur de la proposition de loi sur la licence globale et Maxime Lambrecht, chercheur en droit et éthique économique à  l’UCL. L’utilisation de ces nouvelles technologies a été développée dans ses potentiels mais aussi dans ses limites et indispensables balises à  poser.

La société numérique se matérialise au quotidien via les ordinateurs, tablettes, télévisions, radios, via la presse électronique, les médias sociaux, les GSM et autres sites web. Ces nouvelles technologies numériques ont permis de nombreuses avancées sociales, démocratiques, émancipatrices. Mais derrière l’utilisation de ces instruments technologiques se pose aussi une série de questions et d’enjeux liés à leur usage et leur impact sur notre vie quotidienne. La remise en cause de certains principes fondamentaux (vie privée, liberté d’expression) demande une régulation démocratique.

Le potentiel des nouvelles technologies

La première vidéo présente l’impact des nouvelles technologies, notamment l’open data, sur la ville. Peut-on parler d’avancées créatives et participatives ?

Maxime Lambrecht : Il s’agit de nuancer certaines affirmations pour ne pas être naïf. On assiste actuellement à une convergence d’intérêts du milieu des start-up pour une dérégulation d’Internet. L’open data permet en effet des avantages (mobilité, etc.) mais les applications qui en découlent sont parfois gadget. Les véritables données sensibles ne sont pas communiquées. Tout en retenant certaines informations, Obama a par exemple fait une grosse campagne sur l’open data !

En terme de potentiel, l’économie collaborative sort des activités de la sphère marchande et crée de la communauté. D’autre part, le crowdsourcing, remplace le travail fait par les employés par celui d’indépendants. Uber, joue par exemple sur l’ambiguïté entre service de covoiturage et service de taxi. Ce ne sont pas des chauffeurs citoyens, mais des taximen sans licence. Cela pose question en matière de protection sociale ou de statut. L’économie collaborative est pleine de potentiel, mais il s’agit de rester critique lorsque le secteur du business s’empare de ses outils.

Benoît Hellings : L’open data conceptualise l’idée que des données façonnées par les pouvoirs publics peuvent être mises à disposition des citoyens. Ecolo défend le fait que ce qui a été financé par les pouvoirs publics soit accessible, avec des limites, comme sur les données de santé. L’open data a, par exemple, permis de prendre une série de mesures au niveau des égouttages grâce aux capteurs installés sur les cours d’eau à Bruxelles.

Le big data est une opportunité technologique et représente une masse de données gigantesque. Des sociétés belges utilisent déjà les données des opérateurs téléphoniques pour découvrir les profils des consommateurs. Des profits commerciaux sont créés en interconnectant ces bases de données, Google le fait déjà. La richesse, c’est la donnée, pas le produit du travail. Faut-il devenir technophobe ? Non, mais la liberté d’expression et le respect de la vie privée doivent être défendues dans une société qui change.

Les limites des nouvelles technologies numériques et les balises nécessaires

Vidéo du GSARA sur les enjeux de la neutralité du net : les opérateurs de contenu et les fournisseurs d’accès à Internet veulent prioriser l’information et prennent la liberté de contrôler, filtrer, censurer pour préserver de la bande passante. Les défenseurs de la neutralité du net se battent pour préserver cet espace public partagé libre, ouvert et innovant.

Maxime Lambrecht : La difficulté d’analyser les changements est liée à leur ambiguïté. Internet représente plus d’échanges d’informations mais aussi une menace sur l’accès à l’information. Car sur Internet, il n’y a que des espaces privés, pas d’espaces publics. Les lieux où l’on peut exercer sa liberté d’expression sont rares. Il faut imposer aux propriétaires de ces canaux d’avoir des lieux dans lesquels on est libre de s’exprimer.

Benoît Hellings : En Europe, il y a eu une fusion des métiers de cablo-distributeur, fournisseur d’accès et télé (Belgacom fait tout cela). Le fait que ces opérateurs sont en lien avec les entreprises de contenu les incite à donner la priorité leurs contenus. Que penser de l’accord commercial entre Belgacom et Disney, Belgacom va-t-il donner la priorité aux productions Disney ? Il s’agit d’un danger manifeste pour la neutralité du net.

Les fournisseurs d’accès à Internet sont de facto devenus des distributeurs de culture et de savoirs, et toute information est immédiatement copiable et échangeable. Ecolo a proposé la licence globale pour que des balises soient respectées : ce n’est pas parce qu’un bien culturel est échangeable que sa propriété intellectuelle n’appartient pas à celui qui l’a créé. Le fournisseur d’accès doit rétribuer l’artiste ou le scientifique créateur de contenu : mais dans quelle proportion ? Les grosses sociétés veulent que l’information soit traçable, les Européens veulent que cela soit forfaitaire. Il est intolérable politiquement d’ouvrir les paquets d’informations qui circulent sur le net. Les système de traçage du web comme Hadopi ou Prisme, prétendent tracer la pédopornographie. Mais ce qui est vrai dans l’espace public l’est aussi dans le monde cybernétique, alors pourquoi créer de nouvelles applications au monde cybernétique ?

Avec l’arrivée du TTIP, le principe de neutralité sur Internet ne risque-t-il pas d’être (encore plus) mis à mal ?

Benoît Hellings : L’Europe devra adapter ce traité, notamment les chapitres portant sur l’économie numérique. De façon générale, ce traité est comme vendre son âme aux Etats-Unis alors qu’aucun poids lourd de l’économie numérique n’est Européen (cfr la domination de Google, Apple et Microsoft). Ce projet doit être cassé car l’Europe n’y a aucun intérêt.

Maxime Lambrecht : Il n’est pas vain de protéger les droits fondamentaux sur Internet. Le « paquet télécom » adopté par le Parlement européen en est une garantie et c’est positif. L’Europe s’est aussi posée en exemple sur la protection de la vie privée. Le droit à l’oubli impose aux acteurs du web de retirer les informations dommageables pour des individus. La « data protection » est toujours en discussion au Parlement européen et fait l’objet d’un lobbying intense des Américains.

Quel équilibre entre liberté d’accès et respect des droits fondamentaux ?

Dans cette vidéo, Jimmy Wales, cofondateur de Wikipedia, évoque les enjeux liés au scandale de la NSA. Il préconise plus de sécurité dans l’encodage des données.

Maxime Lambrecht : L’Option du cryptage généralisé est une solution à la mode après les révélations des pratiques de la NSA. Avant cela, les activistes étaient confiants dans le système de contrôle juridictionnel. On a vu ici que ce modèle a explosé car le gouvernement américain le respectait mais le mandat sur ces données a été donné trop largement. La solution technologique propose une alternative mais quid des cas où il est légitime de procéder à des vérifications de données dans la cadre d’enquêtes ? La solution du chiffrement reviendrait au modèle des écoutes ponctuelles, potentiellement intéressante.

Benoît Hellings : Il existe plusieurs méthodes de recherche de données. La sûreté de l’État en Belgique utilise la méthode suivante : elle peut décider de mettre entre parenthèses les droits fondamentaux à la vie privée d’un individu pour que les droits de la collectivité soient garantis. L’idée de base est que tout le monde est à priori innocent. La méthode anglo-saxonne est son opposé : tout le monde est à priori coupable. Le big data, ou prisme, récolte toutes les données et les traite avec des algorithmes. Une surveillance généralisée est ainsi exercée et une personne peut être arrêtée en fonction d’un profil de dangerosité. Dans les compagnies d’aviation, le PNR (Passenger name record) transmet les données (repas réservé lors du vol, historique de militance politique etc. ) à l’agence américaine de sûreté . Un vol Air France a ainsi été détourné car il hébergeait un soi-disant terroriste. Beaucoup d’autres exemples montrent que cette surveillance généralisée est un mirage, il s’agit d’une horreur pour le respect des droits fondamentaux et d’un contresens économique.

Malgré cette surveillance généralisée, on voit que tous les attentats ne sont pas déjoués, pourquoi garder ces systèmes de surveillance alors qu’ils ne sont pas efficaces ?

Benoît Hellings : L’espionnage industriel et la pédopornographie sont utilisés comme épouvantails, or il est intéressant de constater que l’affaire Prisme et le début des négociations sur le TTIP sont concomitantes ! Les États-Unis veulent se donner un avantage concurrentiel face aux autres.

Maxime Lambrecht : Le big data ne coûtant pas cher, l’idée est qu’il veut mieux collectionner tout et que cela peut « toujours servir »… Il faut être attentif aussi au fait que nous livrons « spontanément » tout un tas d’infos à des tiers. On ne se doute pas assez de l’utilisation qui est faite des comptes Google, Facebook ou Dropbox.

Protection de la vie privée

Cette vidéo sur l’utilisation des données d’Internet à des fins commerciales a été réalisée par les Verts du Parlement Européen.

Maxime Lambrecht : Cette vidéo montre bien les dérives commerciales liées à l’utilisation des données d’Internet. L’analyse de données par les supermarché est déjà une réalité aux États-Unis. Un exemple plus local : le département assurances d’Ethias, propose un service de bracelet connecté pour inciter ses clients à un mode de vie plus actif. Il s’agit en fait d’un mouchard qui livre des informations sur le mode de vie de la personne : à quand une franchise fixée en fonction de ces informations ? Il y a une réelle nécessité de réguler cela, au delà des opportunités de business.

La difficulté de réguler ce phénomène est réelle car ces gadgets sont présentés comme des opportunités. Autre exemple, la carte Mobib de la STIB comporte des enjeux conséquents en matière de respect de la vie privée car elle récolte toutes les donnée de parcours. Or, ces données permettent par ailleurs de fluidifier la mobilité à Bruxelles. Il y a donc un réel travail de sensibilisation du public à ces enjeux.

Benoît Hellings : Le danger est de paraître technophobe, chez les Verts ! Mais il ne faut pas être fétichiste non plus avec les TIC. Par exemple, à propos du vote électronique, les Verts sont contre, d’une part car l’évolution technologique fait que le vote ne pourra être que coûteux et surtout d’autre part, car le contrôle citoyen n’est pas garanti.

Quelles pistes d’action ? Pour lutter contre le big data et la surveillance généralisée sur le réseau, il faut collecter le moins de données possible. Au niveau des pouvoirs publics en Belgique, seules les données pertinentes sont conservées. Le moins de données possible doivent être accessibles à un nombre restreint de personnes.

En Belgique, les pouvoirs publics doivent garantir la neutralité du net, le droit à l’oubli et permettre de refuser les cookies. Les pouvoirs publics doivent assurer aux citoyens que leurs données ne soient pas récoltées.

Maxime Lambrecht :Il s’agit bien de réguler ces solutions technologiques sans quoi elles proposent un pacte avec le diable. Sur la carte Mobib, un recueil de données non nominatif serait possible (sans croiser le nom et les données). Car ces données ont par ailleurs aidé à opter pour la tramification de la ligne de bus 71.

Il faut donc rendre obsolète le modèle du cloud et du big data. Il faut de choix politiques assurant que l’on ne multiplie pas le nombre de données et que le nombre des personnes qui y accèdent soit très limité.

Benoît Hellings : Encore une chose, en matière d’outils numériques, je pense que nous avons un rôle à jouer, et particulièrement, vous, les jeunes, qui est de donner le ton en matière de logiciels libres et de matériel informatique qui inclut des critères durables. Car ce qui est vrai pour l’alimentation l’est aussi pour le matériel informatique !

Merci à Benoît Hellings et à Maxime Lambrecht pour leurs interventions. Ce panorama global des enjeux de la société numérique a ensuite été décliné en 3 ateliers thématiques :

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