Retour sur | L’enseignement de l’histoire coloniale et ses lacunes

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Le 19 novembre s’est tenue une conférence sur l’enseignement de l’histoire du colonialisme en Belgique et ses lacunes. Nos intervenants ont, chacun à leur manière, montré comment cette histoire est toujours d’une actualité brûlante en Belgique et que, non, cette histoire ne concerne pas que les descendants de colonisés.

Stanislas Mambuene, qui a grandi au Congo et étudie actuellement à Liège, a commencé par nous expliquer comment cette histoire est abordée au Congo et comment elle ne l’est pas en Belgique. Par exemple, bons nombres de Belges euro-descendants1 ne connaissent pas l’histoire de l’assassinat de Patrice Lumumba (je vous conseille de demander autour de vous !) alors que ce pan de l’histoire est essentiel.

De plus, il nous a montré que l’histoire du Congo ne commence pas, comme le sous-entendent les livres d’histoire, en 1885, date où le Congo est devenue propriété personnelle du Roi de Belgique Léopold II. A contrario, la région qui deviendra le Congo belge avaient ses propres religions, langues et cultures que les Belges ont intégralement remplacés par les leurs.

L’ignorance et le désintérêt des politiques Belges sont également flagrants : les clivages politiques en Belgiques n’ont jamais été très profonds autour de la question coloniale et l’enseignement en Belgique a surtout voulu souligner le « développement permis par la Belgique » et non, par exemple, la pratique très belge de couper les mains des colonisés dès que l’occasion se montrait.

« Ce qui est fait pour nous sans nous, est fait contre nous. »

Kalvin Soiresse Njall (collectif mémoire coloniale et lutte contre les discriminations) a commencé en mettant les points sur les i. L’éducation est un puissant outil pour changer le monde, ou pour ne pas le changer … Il souligne que, en prétendant sauver le monde, les colonisateurs se sont, en fait, perdus eux-mêmes ; en niant l’humanité des colonisés, comment garder la sienne ? Il entend déconstruire cette humanité à géométrie variable.

Il entend également déconstruire les idées préconçues selon lesquels « tout le monde serait un peu raciste » – donc l’être serait moins grave – et qu’on ne peut pas juger le passé avec nos valeurs d’aujourd’hui. En effet, il faut, selon lui, pouvoir reconnaitre ce qui, dans le passé est doit être un exemple et ce qui ne doit pas l’être. Puisque l’histoire a encore une énorme influence sur le présent, il faut aussi reconnaitre ce qui nous acceptons et ce que, en jugeant aujourd’hui, nous voulons abandonner – c’est-à-dire le racisme persistant.

Kalvin enseigne l’histoire dans le secondaire. Il a pu remarquer le malaise des professeurs à enseigner à des afrodescendants qui, parfois, en savent plus qu’eux sur la question ou en tout cas l’abordent selon des points de vue différents, notamment des histoires (racontées dans la famille) différentes. Il nous dit qu’il faut enseigner ces notions et de ne pas laisser les élèves livrés à eux-mêmes sur internet. Or, après avoir fait ses recherches, Kalvin nous apprend que dans le « pacte d’excellence », il n’est obligatoire d’enseigner l’histoire de la colonisation qu’aux seuls élèves du professionnel. Selon lui, la motivation derrière cette différence de traitement entre le professionnel et le général résulte de deux a priori des politiques: le premier serait la croyance qu’on trouverait principalement les afrodescendants dans l’enseignement professionnel2 et le second, serait que cette histoire ne concerneraient qu’eux, ce qui constitue un déni d’une partie importante de l’histoire belge.

Emmanuelle Nsunda (Afrofeminism in progress & Minorities Speaking) fut notre dernière intervenante. Elle appuie le fait que qu’il est toujours difficile de faire accepter la réalité du fait colonial en Belgique car il structure toujours les mentalités. Un certain statut social associé à une couleur de peau persiste encore ; il reste impossible de ne pas le remarquer au jour le jour si on est noir en Belgique alors que la majorité blanche est, souvent, une majorité silencieuse sur le sujet.

Elle épingle trois grands moyens de diffusion des stéréotypes et concepts racistes aujourd’hui.

Le premier, comme le soulignait déjà Kalvin, est l’école. Celle-ci ne peut aider à développer un esprit critique que sur le peu qu’elle apprend (à ce sujet) et dans la mesure où la critique est même envisagée. Souvent l’enseignement de la colonisation aurait pour but d’encourager une société « multiculturelle » sans acceper que,au contraire, la colonisation fait partie intégrante de l’histoire de tous les belges. Cette approche distingue encore les « blancs » des « noirs », preuve que les concepts coloniaux sont toujours bien présents.

Les stéréotypes sont pareillement diffusés par la culture populaire. Sans être exhaustif, on peut citer les caricatures de Serena Williams en singe, les rôles subalternes des afro-descendants dans les films, Tintin au Congo, les publicités , etc. On pourrait même citer les « campagnes de sensibilisation » des ONGs où l’Afrique est présentée comme misérable pour apitoyer et pousser au don. Tout ceci a créé et continue d’alimenter un imaginaire collectif dans la société européenne où chacun a une place prédéterminée, la place la mieux considérée étant réservée aux euro-descendants.

Les discours d’autorités par les médias ou les politiques sont le dernier moyen de diffusion de ces stéréotypes. Emmanuelle cita Sarkozy expliquant au Caire que « l’homme africain » (on remarque déjà l’absence de la femme) serait « étranger à l’idée de progrès », le progrès tel qu’il le définit évidemment …

Ces stéréotypes et ce racisme persistant créent ainsi une assignation identitaire selon sa couleur de peau, un plafond de verre spécifique pour les afro-descendants (les femmes afro-descendants subissent alors un double plafond de verre), ainsi qu’une invisibilisation de la culture, l’identité des afro-descendants, ceux-ci étant forcés de s’identifier à des héros qu’ils ne peuvent être puisque ceux présentés comme des héros sont fréquemment euro-descendants.

Ces trois intervenants appellent chacun de leur façon à une décolonisation des mentalités. Ceci implique de s’éloigner de l’européocentrisme et de reconnaitre les autres cultures. Il est également nécessaire de repenser la société belge (et européenne) dans son ensemble pour que les structures racistes qui ont permis la colonisation disparaissent enfin.

Ces deux premiers objectifs sont indissociables du troisième qui, seul, permet leur réalisation : repenser fondamentalement l’enseignement du colonialisme dans une perspective plus critique prenant en compte que la colonisation est un passé partagé.

1Comme l’a suggéré Emmanuelle nous utiliserons les termes « afro-descendant » à la place de « noir » et « euro-descendant » à la place de « blanc » notamment car la nécessité de cette distinction, sociale et non biologique, était intrinsèque au système colonial et donc n’est plus utile dans la société que nous désirons construire.

2Or, selon une étude la fondation roi Baudoin le niveau d’étude des afrodescendants est supérieur à la moyenne nationale: plus de 60% des afrodescendants disposeraient d’un diplôme d’études supérieures

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