Va-t-on laisser le racisme consumer nos sociétés ?

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Une carte blanche signée par écolo j

L’incendie d’un futur centre d’asile à Bilzen n’est pas à considérer comme un fait isolé, mais comme la conséquence d’une réalité plus globale : un racisme décomplexé et croissant qui mine notre société.

Comment des personnes en sont-elles venues à mettre le feu à un abri destiné à celui et celle qui fuient leur terre devenue politiquement, économiquement, humainement inhospitalière ? Il s’agit là d’un acte dépourvu d’humanité ! Nous pourrions tenter d’en saisir les ressorts individuels. Pour autant, cet incendie à Bilzen s’inscrit clairement dans une montée du racisme en tant que fait de société. Nous affirmons donc qu’il est temps de dénoncer les responsables finaux de tels actes.

Un racisme décomplexé et croissant

Nous sommes nombreux à avoir été horrifiés par cet acte criminel ayant touché le centre pour futurs demandeurs et demandeuses d’asile situé à Bilzen. Notre stupeur fut plus grande encore en apprenant les commentaires émis par une partie de l’opinion publique. Souhaiter la mort de personnes migrantes est une opinion grave, injustifiable.

Doit-on pour autant s’en étonner quand l’actualité est émaillée de faits racistes ? À titre d’illustrations, rappelons les insultes négrophobes dans les stades de football, les croix gammées dans les rues de Ganshoren et sur une supérette à Bruges, les insultes racistes et homophobes trouvées par un stagiaire pompier…

Ces actes ne sont pas à considérer isolément mais en tant que composantes d’une réalité plus globale : un racisme décomplexé et croissant. Ainsi, l’incendie, les applaudissements et les commentaires ayant suivi ne sont pas le fait de « déséquilibrés » mais l’aboutissement de cette banalisation continue de la parole raciste. Ne nous leurrons pas : en restant passifs ou indifférents face à la prolifération de la haine sous ses multiples formes, nous acceptons, de facto, de voir notre société évoluer vers le pire.

Entre peurs et altérisation

L’heure est grave. Au-delà des faits précédemment cités, d’autres indices devraient alerter l’ensemble des citoyennes et citoyens. La Belgique est le pays européen avec le taux le plus significatif de discriminations à l’emploi1. Le taux d’insertion socioprofessionnelle des personnes d’origine immigrée et des migrants y est également catastrophique2. Et quand ils et elles trouvent un emploi, c’est pour être relégués généralement dans les fonctions les plus dégradées du marché du travail. Aussi, malgré les impératifs de gendermainstreaming ou la Convention d’Istanbul, les femmes migrantes pâtissent encore plus de cette situation. Dans un pays où la laïcité et le communautarisme sont les nouveaux prétextes d’aliénation et d’exclusion, le profilage ethnique est largement utilisé lors des contrôles policiers ou des visites domiciliaires. Les personnes migrantes ou d’origine immigrée, fussent-elles de la troisième génération, et même les hébergeurs, en ont fait les frais. Les violences policières constituent une dérive croissante comme nous le rappellent la récente mort du jeune Mehdi, la mort de la petite Mawda tuée par un tir policier en 2018, les violences à l’égard de Moad ou les plaintes récentes pour violences lors de rapatriements forcés. Nous n’avons pas encore tiré les leçons de la mort des parents de Kenza Isnasni (Ahmed et Habiba) ni de Semira Adamu, semble-t-il.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Est-ce simplement la « peur de l’inconnu » ? Non. Nous ne pouvons fermer les yeux sur les conséquences tragiques de certains discours politiques et médiatiques qui ont fomenté et nourri ces peurs, mais surtout légitimé le racisme sous toutes ses formes et en particulier le racisme anti-migrants, l’islamophobie, la romanophobie, la négrophobie3 et l’antisémitisme. Les politiques doivent cesser de jouer ainsi avec le feu.

Nous assistons à un véritable processus d’altérisation des migrants et de leurs descendants. L’altérisation est un mécanisme sociologique et psychosociologique consistant à créer des groupes distincts et hiérarchisables au sein d’une société conduisant, au pire, à une déshumanisation de l’altérité.

Responsabilités politiques

Les responsabilités individuelles et politiques sont toutes deux questionnables, mais nous ne pouvons les mettre sur un pied d’égalité. À cet égard, la dernière affiche du Vlaams Belang, qui suggère que les responsables des agressions pédophiles sont des étrangers, doit nous alerter. Les recherches en la matière démontrent très bien que la majorité des viols sont commis au sein de l’entourage des enfants. Dès lors, quel est l’objectif du VB, si ce n’est renforcer sournoisement, dans l’opinion, les préjugés racistes à l’égard des personnes migrantes et de leurs descendants pour en faire des boucs émissaires ?

Plus inquiétant encore, l’extrême droite flamande n’a pas le monopole des pratiques racistes. Rappelons, par exemple, que pendant la législature du précédent gouvernement, au sein duquel Theo Francken (N-VA) occupait le poste de secrétaire d’État à l’asile et à la migration et Jan Jambon celui de ministre de l’Intérieur, les traques des migrants étaient monnaie courante.

En faisant des migrantes et des migrants des êtres humains de seconde zone, en les altérisant, en les brandissant comme les boucs émissaires, une partie de la classe politique crée une division dans la société entre ceux et celles qui ont le droit d’avoir des droits, et les autres, les surnuméraires ou les personnes « jetables ». Lorsque dans une société l’on touche aux droits fondamentaux des uns, c’est bien l’ensemble de la société qui est ébranlée et la place de tout un chacun qui est questionnable.

Une ambiance qui se généralise

La Belgique n’est pas le seul pays à être touché par cette remontée de l’extrême droite. Partout en Europe, les mouvements racistes, extrémistes, anti-migrants, se font de plus en plus une place au sein du pouvoir, ce qui entraîne une normalisation des actes et des paroles racistes.

La Hongrie a autorisé à tirer à balles réelles4 sur les migrants qui passaient sa frontière, frontière sur laquelle elle a érigé une barrière « anti-migrants »5. L’Italie refuse régulièrement de laisser entrer les bateaux de migrants. Cela a également été le cas pour la France avec l’Aquarius, et ailleurs l’Ocean Viking6. En Allemagne, en août 2018, la ville de Chemnitz a été le point de rassemblement de milliers de personnes hostiles aux migrants, qui ont été jusqu’à pratiquer une chasse à l’humain dans les rues.

Parce que nous sommes tous et toutes les descendants d’êtres humains qui, libres ou contraints par la nécessité (guerre, persécutions, destructions, pauvreté), ont un jour dû quitter leur lieu de vie, et parce qu’aucun de nous n’a choisi de naître où il est né, nous ne pouvons que tisser le fil d’une commune humanité. « Chaque être humain est une humanité en soi » : c’est notre condition collective, celle que nous voulons rappeler par ce texte, par cette action.

Nous appelons donc les différentes forces progressistes et démocratiques, mais également les citoyennes et citoyens de tous horizons, à se mobiliser contre cette montée inquiétante du racisme et de la xénophobie sous toutes ses formes. L’heure n’est plus seulement au commentaire ou même à la dénonciation stricto sensu mais à la défense des droits individuels pour toutes et tous, à l’opposition active à la violence structurelle dont sont victimes les personnes migrantes en premier lieu.

Une opinion de Sarah Degée, Martine Demillequand, Benjamin Hannesse, Eva M.Jiménez Lamas et Guillaume Lohest, respectivement professeure de psychopédagogie et militante antiraciste et féministe; collaboratrice pédagogique à l’UCLouvain et professeure de français; président de Clap Culture ASBL; syndicaliste féministe antiraciste et chargé d’études en éducation permanente. Opinion signée par plus de 150 personnalités.

1 Pacquay (Maxime), « La Belgique, pire élève européen de l’intégration des immigrés sur son marché du travail », RTBF, 29 mai 2019.

2 Lafleur, M. & Marfouk, A. (2017). « Pourquoi l’immigration ? 21 questions que se posent les Belges sur les migrations internationales au XXIe siècle ». Louvain-la-Neuve : Académia.

3 Ibid.

4 « Huffington Post » avec AFP, « Hongrie : l’armée autorisée à tirer sur les migrants, nouvelle provocation signée Vicktor Orban ». Sur le site huffingtonpost.fr, 21 septembre 2015.

5 Epstein (Marc), « Barrière antimigrants : un nouveau mur en Europe », sur le site lexpress.fr, 29 août 2017.

6 « Le Figaro » avec AFP, « SOS Méditerranée cherche de nouveau un port sûr pour 104 migrants », sur le site lefigaro.fr, 21 octobre 2019.

La Libre, 19 novembre 2019, « Va-t-on laisser le racisme consumer nos sociétés ? »

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