L’annulation de Roe v. Wade

Communiqués de presse

L’annulation de Roe v. Wade :

Un immense pas en arrière dans un contexte de plus en plus conservateur

Samedi passé, les membres du Selflove Gang ont cauchemardé. Iels se sont réveillé-es dans un mauvais rêve où les droits des femmes et des personnes pouvant être enceintes a reculé de plusieurs décennies… avec la menace supplémentaire que l’état actuel de la technologie permet potentiellement de traquer et de criminaliser en masse.

Le 2 mai 2022, le média américain Politico laissait entendre, sur base d’une fuite de documents exceptionnelle, que la Cour Suprême des États-Unis était prête à voter l’annulation de la décision historique « Roe versus Wade ». Cet arrêt datant de 1973 étendait le droit à la vie privée des femmes à celui de poursuivre ou non une grossesse et garantissait le droit à l’avortement sur tout le territoire. Malheureusement, ce vendredi 24 juin, la plus haute autorité du pays a révoqué l’arrêt Roe v. Wade, offrant à chaque État la compétence pour autoriser ou interdire l’avortement. On estime que 26 États risquent de l’interdire ou de le restreindre fortement, alors même que les Nations Unies définissent la grossesse forcée comme un crime contre l’humanité. 1

 

Des signes avant-coureurs

Rien qu’en 2022, 238 projets de lois queerphobes* ont été déposés aux États-Unis, ciblant principalement les personnes trans. Citons par exemple la loi « Don’t say gay » en Floride qui interdit de parler d’orientation sexuelle et d’identité de genre à l’école, ou encore, au Texas, la criminalisation des bloqueurs de puberté pour les mineurs et des parents qui soutiennent leur enfant transgenre (qui seraient qualifiés de parents maltraitants). 2

Cet acharnement envers les personnes transgenres, soutenu par le courant « TERF » (Trans Exclusionary Radical Feminist, aussi appelé « radfem »), n’est pas à prendre à la légère. En France, les TERFs les plus connues sont Dora Moutot et Marguerite Stern. Cette dernière, en réponse à l’actualité, accuse injustement les personnes trans d’avoir aidé les hommes à diviser la classe « sexuelle » des femmes.

Pourtant, quand on s’attaque aux droits des personnes de la communauté queer*, il est très clair que les droits des femmes (cis) seront la prochaine cible. Le droit à disposer de nos corps est attaqué dans sa globalité. Nous sommes tous-tes concerné-es. Ceci devrait donc plutôt démontrer la nécessité d’instaurer une solidarité réelle et effective entre les femmes cisgenres, transgenres et autres personnes minorisées au sein de la communauté queer.

N’oublions pas non plus les stérilisations forcées subies (encore aujourd’hui) par des milliers de personnes pour des raisons eugénistes, racistes et queerphobes, qui constituent également une atteinte aux droits humains. 3

 

Conséquences et inquiétudes

 

  • « C’est en réalité le Dieu argent qui est victorieux« , écrit Leïla Slimani 6. Pourtant, même lui n’a rien à y gagner : les coûts combinés des soins de santé des complications consécutives à des avortements non sécurisés et des baisses de ressources des ménages suite aux handicaps de longue durée liés à des avortements non sécurisés s’élevaient en 2006 à 1.475 millions de dollars dans les pays en développement.

 

  • On peut se demander comment les fausses couches vont être gérées : comment les soignant-es vont-iels faire pour trancher si on a essayé d’avorter ou si c’est une fausse couche ? Beaucoup de personnes vont éviter de consulter de peur d’être dénoncées. Les plannings familiaux vont également recevoir encore plus de pression de la part des militant-es anti-IVG.

 

  • De nombreuses personnes alertent sur la question des données personnelles, dans un contexte où, dans certains États comme le Texas, les simples citoyen-nes, devenus « chasseur-euses de primes » sont encouragé-es à dénoncer les médecins et les patient-es pratiquant ou ayant recours à l’avortement. Les Américain-es se refilent des conseils sur les réseaux : désinstaller son appli de suivi des règles et supprimer les data, ne pas prendre son téléphone quand on va au planning familial, ne pas acheter un test de grossesse avec sa carte bancaire…

 

 

Et chez nous ?

Pour rappel, une proposition de loi progressiste sur l’avortement, allongeant notamment le délai légal pour y avoir accès,  est restée bloquée en 2020, au moment des négociations pour la formation du gouvernement fédéral, à cause du refus du cdH (Les engagés), du CD&V, de la NVA et du Vlaams Belang 8. Pour citer Diane Guardiol, membre d’Abortion Right : « Ce qui est inquiétant, c’est que le corps des femmes est toujours un enjeu de négociation politique dans notre pays« .

Actuellement, si l’avortement est sorti du code pénal, en dehors des conditions strictes prévues par la loi (donc par exemple, en cas de déni de grossesse ou de violences conjugales amenant la personne enceinte à ne pas respecter le délai de 12 semaine ou les 6 jours de réflexion), il peut encore coûter jusqu’à un an de prison au médecin comme à la personne enceinte… Plus de 500 femmes chaque année doivent donc encore se rendre aux Pays-Bas (où le délai légal est de 24 semaines) pour avorter.

Chez nos voisin-es français-es, les macronistes se disent révolté-es par le retour en arrière des États-Unis, alors qu’iels ont massivement voté contre la constitutionnalisation de l’IVG et du droit à la contraception en 2018.

En Belgique, si ce droit entrait dans la Constitution, il serait davantage protégé. Mais la révocation de l’arrêt Roe v. Wade a également poussé des politiciens anti-IVG à sortir du bois : le bourgmestre MR de Wezembeek-Oppem s’est déclaré « contre l’avortement libre, sauf pour raisons thérapeutiques », le Vlaams Belang (3e parti à la chambre) souhaite restreindre l’accès à l’avortement dans le cas où la vie de la femme est en danger, où l’enfant n’est pas viable et en cas de viol (selon la déclaration de Tom Van Grieken à la VRT).

Certain-es conseillèr-es communaux-les MR, pourtant parti dit libéral, votent en ce moment contre des motions communales appelant le niveau fédéral à sanctuariser le droit à l’IVG…

Ecolo-Groen a déposé un texte à la Chambre afin de compléter l’article 22 de la Constitution. Cet article protège le droit à la vie privée et familiale, il s’agirait de préciser que l’accès à l’IVG fait partie de ce droit.

Cet article est actuellement ouvert à révision et peut donc être précisé en ce sens. Pour les député-es Ecolo-Groen, ceci ne doit pas faire obstacle à la révision de la législation sur l’avortement.  Les Vert-es sont favorables à la prolongation du délai pour l’interruption volontaire de grossesse, la réduction du délai de réflexion de six jours à 48 heures et bien sûr la fin des sanctions pénales.
Nous, jeunes écologistes, saluons et félicitons chaleureusement cette initiative !

 

Ce que cet événement doit nous enseigner plus largement :

  • L’intégrisme religieux** qui menace le plus nos démocraties ne semble pas se trouver là où le discours médiatique tend à le placer

Des membres du parti Républicain, ainsi que des sympathisant-es, félicitent cette décision qui serait une victoire religieuse. En réalité, ce n’est qu’une victoire pour l’intégrisme chrétien.
En effet, pour les autres religions du Livre, la vie ne commence pas à la conception. Dans le Talmud par exemple, la vie commence à la naissance, le fœtus n’est considéré que « comme de l’eau » pour les 40 premiers jours de la grossesse. Il n’est considéré comme une personne que lorsqu’il prend sa première respiration en dehors du corps de la personne gestante. Dans la loi juive, l’avortement est permis quand la vie de la personne en gestation est mise en danger par la grossesse. La vie de cette dernière est la priorité. Ces règles sont sensiblement les mêmes pour l’Islam. Religieusement, l’idée que la vie commence à la conception et qu’elle est plus sacrée que celle de la personne qui la porte est uniquement chrétienne. Pourtant, elle s’impose comme faisant force de loi.

Cette loi interdit donc aux personnes pratiquants d’autres religions d’exercer leur liberté religieuse.

Les liens entre l’extrême droite et la pensée intégriste chrétienne est bien documentée. C’est le cas également en Belgique. 9 Pourtant, la parole politique, amplifiée par la caisse de résonance offerte par les principaux groupes médiatiques dominant le marché, tend à pointer du doigt certains groupes religieux particuliers comme étant des menaces pour l’ordre démocratique, en tout premier chef la communauté musulmane (que l’on sous-entend en quasi permanence comme étant susceptible de radicalisation et d’extrémisme).

Cette attitude est pour nous significative d’un aveuglement raciste.

Il est temps de prendre au sérieux la menace que représente le fondamentalisme religieux PARTOUT où il est et de cesser de le faire seulement dans une visée instrumentale de discrimination islamophobe.

  • Attaquer les droits des femmes et des groupes minorisés : un signe de fascisation qui ne doit pas tromper

« Le contrôle du corps des femmes et des moyens de reproduction est un symptôme précoce de l’autoritarisme » écrivait Gloria Steinem en 2018.

La pandémie mondiale de la COVID-19, la résurgence de la guerre en Occident et le fantôme de la menace nucléaire, la/les crise(s) économique(s) qui n’en fini(ssent) pas, le dérèglement climatique et ses conséquences en cascade : rarement une époque n’aura été plus en crise que celle que nous vivons actuellement.

Tout ceci crée logiquement un état d’abattement de la population, beaucoup moins encline à se rebeller politiquement (puisqu’elle doit déjà survivre), beaucoup plus prône à se chercher des boucs émissaires (contre lesquels il est nettement plus accessible d’agir).

Ce qui se passe aux USA (que nous avons détaillé ci-dessus) peut être qualifié de terrorisme institutionnel. Le but est d’y aller vite et fort afin de profiter de cet état de choc global.

Cette « stratégie du choc  » a été étudiée par Naomi Klein. S’appuyant sur plusieurs recherches documentaires, cette dernière montre que des désastres (catastrophes naturelles, changements de régimes, attentats), qui conduisent à des chocs psychologiques, permettent aux chantres du capitalisme d’appliquer la doctrine de l’école de Chicago (dont Milton Friedman est l’un des représentants). Ils imposeraient, à cette occasion, des réformes économiques ultra-libérales telles que la privatisation de l’énergie ou de la Sécurité sociale. C’est ce qu’elle appelle « le capitalisme du désastre ».

En tant qu’écologistes, nous avons conscience du lien entre capitalisme et patriarcat (Lire notamment « patriar-capitalisme  » de Pauline Grosjean). Au-delà des réformes économiques, on voit que cette théorie peut aussi s’appliquer aux initiatives légales qui visent à détricoter les droits humains, acquis de longue lutte, des groupes opprimés.

L’Histoire, ainsi que ce qui se passe actuellement, est censée nous avoir appris que les périodes de crise sont propices à l’émergence de mouvements fascistes, à leur percolement dans la société et aux conséquences tangibles -qui y sont liées- dans les décisions politiques. Les premières victimes en sont toujours les femmes, la communauté queer et, comme le paragraphe précédent l’évoque, les groupes racisés. Les autres (particulièrement les grand-es détenteur-ices de capital) s’en sortent en général peu touché-es, voir même enrichi-es/renforcé-es.

En conclusion, il est temps de prendre la mesure de ce qui se passe, de dire les mots et d’agir avec beaucoup plus de fermeté contre la fascisation en marche de nos sociétés. Et à se mobiliser pour que des majorités droite – extrême droite n’adviennent pas dans notre pays !

Les membres du Selflove Gang (GT féminisme +)

 

——–

*  Queer est un terme parapluie, historiquement chargé de sens, désignant toute personne LGBTQIA+ et plus largement les personnes qui sortent d’une norme de genre, d’expression de genre ou de sexualité dominante. Il s’agit d’un terme militant utilisé par les personnes concernées au sein d’écolo j, y compris une partie des auteur·rices de ce texte.

** Intégrisme : Attitude et disposition d’esprit de certain-es croyant-es qui, au nom du respect intransigeant de la tradition, se refusent à toute évolution ; Conservatisme intransigeant en matière de doctrine politique.

 

Nos thématiques

Voir toutes les thématiques